Historique du laboratoire : plus de 70 ans de science macromoléculaire à Strasbourg
Avec l’essor de l’industrie du pétrole, les matières plastiques sont entrées dans notre quotidien. Bakélite, nylon, colles, peintures, vernis… ces matériaux sont constitués de macromolécules. Dès 1945 un scientifique atypique, Charles Sadron, s’intéresse à ce nouveau domaine de recherche des macromolécules. En tant que physicien visionnaire il porte deux idées fortes : l’interdisciplinarité pour étudier ces matériaux car il convient de travailler à l’interface des disciplines, et le lien science et industrie naissante.
Sous son impulsion est créé en 1947 le Centre d’Études de la Physique des Macromolécules – CEPM, premier laboratoire propre du CNRS dans les sous-sol de la Faculté de Physique. En 1954, le laboratoire s’installe rue Boussingault et devient le Centre de Recherche sur les Macromolécules – CRM, unité associée à l’Université de Strasbourg. Charles Sadron en est le directeur.
Côté formation l’absence d’institut de science appliquée se faisant sentir, le projet de création d’une école, lancé par Charles Sadron en 1961 auprès de la direction de l’Enseignement supérieur, fut accepté par un arrêté du 19 décembre 1963 : « L’École d’application des hauts polymères (EAHP) est un institut de la faculté des sciences de Strasbourg. Elle a pour but de former des ingénieurs spécialisés dans le domaine des hauts polymères. »
C’est en 1985 que le laboratoire est baptisé Institut Charles Sadron – ICS, en hommage à son initiateur et fondateur. L’institut est depuis 2008 installé sur le campus CNRS de Cronenbourg.
L’Institut Charles Sadron : du début à nos jours – quelques dates clés
1946 : Charles Sadron est le premier lauréat du prix Holweck, décerné par la British Physical Society en 1946 et la même année le premier colloque sur les Hauts Polymères est organisé à Strasbourg. Ces deux évènements donnent le point de départ d’une reconnaissance des activités scientifiques sur ce nouveau domaine.
1947 : Création par le CNRS du Centre d’études de la physique des macromolécules – CEPM sous l’impulsion de Charles Sadron. Ce centre pluridisciplinaire réunissant des physiciens, des chimistes et des biologistes se lance dans la recherche en science macromoléculaire. Premier laboratoire propre du CNRS en province, il est installé dans les locaux de l’Institut de Physique, rue de l’Université à Strasbourg.
1952 : le laboratoire devient le Centre de recherches macromoléculaires – CRM. Le CNRS signe une convention d’association avec l’Université de Strasbourg - préfiguration des actuelles Unité Mixte de Recherche.
(À gauche) Photo prise au début des années 1950 avec le bâtiment de l’Institut de physique en arrière-plan. Charles Sadron (directeur 1947 - 1967) entouré des membres est au premier rang, Henri Benoit (directeur 1967 - 1978) est debout juste derrière lui, Constant Wippler (directeur 1978-1985) est debout et deuxième en partant de la droite. (À droite) Vue actuelle de l’institut de physique
1954 : Installation dans des locaux spacieux nouvellement construits - situé rue Boussingault. L’inauguration se déroule en présence d’Hermann Staudinger chimiste allemand, prix Nobel de chimie 1953 pour ses découvertes dans le champ de la chimie macromoléculaire.
(À gauche) Les plans de l’édifice ont été réalisés par l’architecte Bernard Monnet, assisté des architectes J. Galinowski, L. Cromback et J. Brun. Bernard Monnet est également l’auteur d’autres commandes pour l’enseignement supérieur, telles l’extension de l’institut de physique ou le bâtiment de l’UFR de mathématiques et de l’Institut de Physique du Globe, construits dans les années 1960 sur le campus central de l’Université de Strasbourg. (Au milieu) Vue de la façade nord du CRM, au bord du canal de la Marne au Rhin, à proximité du parc de l’Orangerie. (À droite) Vue aérienne du CRM après la construction de son extension.
1957 : Visite de président de la République René Coty au Centre de Recherches sur les macromolécules, le 5 juillet 1957. A droite du président, Charles Sadron
1967 : Le centre a connu un développement spectaculaire. En 1967 quand Charles Sadron laisse la direction à son collaborateur et adjoint, Henri Benoit, 250 personnes environ travaillent sur la physique, la chimie et la biologie moléculaire.
Charles Sadron et Henri Benoît
Années 1970 : après le départ des biologistes avec Charles Sadron pour Orléans, le laboratoire développe deux grands axes de recherche : l’étude de l’état solide des macromolécules et l’étude de leur structure et comportement en solution. Ce dernier axe s’est trouvé renforcé par le développement de la diffusion des neutrons.
1985 : lors de l’intégration des laboratoires de recherche de l’Ecole d’Application des Hauts Polymères (EAHP), le CRM donne naissance à l’Institut Charles Sadron (ICS) afin de rapprocher la recherche fondamentale et la recherche appliquée. Cette évolution a été étudiée par une historienne du CNRS de l’après-guerre à nos jours ici (même lien vers le pdf en PJ que précédemment)
1995 : l'École européenne des hautes études des industries chimiques de Strasbourg (EHICS), l'École d’application des hauts polymères (EAHP) et le magistère matériaux de l'Université Louis Pasteur fusionnent pour créer l’Ecole Européenne de Chimie Polymère Matériaux de Strasbourg (ECPM).
2 juin 2008 : Inauguration des nouveaux bâtiments de l’Institut Charles Sadron sur le campus CNRS de Cronenbourg. Ce projet, inscrit au contrat triennal Strasbourg ville européenne 200-2002 a été financé par les collectivités locales (communauté urbaine de Strasbourg, département du Bas-Rhin, région Alsace) et le CNRS avec une participation du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Les locaux sont situés à proximité de l’EPCM et des laboratoires de Chimie et de Physique des Matériaux du Campus avec lesquels l’ICS est membre de la Fédération de Recherche Matériaux et Nanosciences d’Alsace, puis du Grand Est.
Charles Sadron
Charles Sadron est né dans le Berry le 12 mai 1902. A 24 ans, il obtient l’agrégation en physique à l’Université de Poitiers. Après avoir enseigné à Troyes, il rejoint en 1928 le lycée Kléber à Strasbourg. En parallèle de son activité d’enseignant, il entreprend une activité de recherche et commence une thèse sur les moments ferromagnétiques des métaux dans le laboratoire de Pierre Weiss au sein de l’Institut de Physique de l’Université de Strasbourg.
A 30 ans, sa thèse sur le magnétisme obtenu, il bénéficie d’une bourse de la fondation Rockfeller. Il passe alors un an et demi au sein du California Institute of Technology de Pasadena (Caltech, USA) près du professeur von Karman où il peut approfondir ses connaissances dans le domaine de la mécanique des fluides. Pour l’époque partir à l’étranger grâce à une bourse privée pour poursuivre ses travaux de recherche est très innovant et peu de physiciens français recherchaient une formation complémentaire à l’étranger. Lors de cette expérience, Charles Sadron acquière un savoir-faire expérimental et apprécie le modèle du laboratoire américain, fédérant de nombreux savoir-faire, fonctionnant avec des grands moyens, collaborant avec l’industrie. C’est sur cette base que Charles Sadron développera en France sa propre vision de la recherche basée sur l’interdisciplinarité et la relation science-industrie.
En 1934, à son retour en France il s’intéresse aux polymères de synthèse ainsi qu’aux macromolécules biologiques.
Lorsque la France entre en guerre en 1939, la faculté de Strasbourg est délocalisée à Clermont-Ferrand ; Charles Sadron réinstalle alors quelques équipements dans cette ville de la zone libre pour poursuivre ces travaux sur les macromolécules cherchant à déterminer leurs masses, leurs dimensions et leurs structures.
Ces travaux sont interrompus en novembre 1943 quand il est arrêté par la Gestapo et déporté en Allemagne, au camp de Buchenwald puis au camp de Dora-Mittelbau, où il restera jusqu’au printemps 1945.
En 1945, de retour à Strasbourg, Charles Sadron devient titulaire de la chaire de Physique générale à l'Université de Strasbourg et il œuvre à la création d’un laboratoire dédié aux macromolécules et construit sur les deux idées fortes que sont l’interdisciplinarité et la liaison science- industrie. Le Centre de recherche des macromolécules - CRM - est inauguré en 1947 dont il restera directeur jusqu’en 1967.
De 1961 à 1975, il est le premier titulaire de la chaire de biophysique au Muséum national d'histoire naturelle à Paris. De 1960 à 1968, il assume la présidence de l'Union rationaliste. En 1967, il prend la direction du Centre de biophysique moléculaire du tout nouveau campus CNRS d'Orléans ; en 1974, Claude Hélène, l'un de ses élèves, prendra sa succession.
Charles Sadron dans son bureau
Charles Sadron a été un pionnier : il a compris l’importance de la coopération interdisciplinaire ainsi que l’importance d’une ouverture vers le monde de l’entreprise et en a favorisé l’épanouissement. Deux raisonnements innovant pour l’époque.
Charles Sadron a eu une influence majeure dans le développement d’une nouvelle discipline : la biophysique des macromolécules.
Son impact sur cette science a été souligné en particulier par Pierre-Gilles de Gennes, lorsque celui-ci a reçu le prix Nobel de Physique en 1991.
(To the left) Pierre-Gilles de Gennes. (To the right) Charles Sadron avec le chimiste et physicien américain Linus Pauling (1901 - 1994), à la fois lauréat du prix Nobel de Chimie en 1954 pour ses travaux décrivant la nature de la liaison chimique et prix Nobel de la paix en 1962 pour son combat contre les essais nucléaires.
Extrait de 2 minutes de l’original auprès de l’INA
Source INA :https://www.ina.fr/video/CAF97059039/charles-sadron-les-macromolecules-video.html
Entretien avec le professeur Charles SADRON, directeur de l’Institut de recherches macromoléculaires de Strasbourg, accompagné de son collaborateur le docteur Pierre DOUZOU. Charles SADRON parle des caractéristiques des macromolécules. La complexité de ces grosses molécules leur permet des fonctions chimiques très diverses. Ces substances sont à la base de l’industrie chimique moderne (plastique, fibres artificielles,...). Les macromolécules peuvent être d’origine biologique. Pierre DOUZOU parle des semi-conducteurs, des polymères. Les recherches de physique, de chimie et de biologie se rejoignent
Extrait de 2 minutes de l’original auprès de l’INA
Source INA :https://www.ina.fr/video/I05174368/charles-sadron-devenir-maitre-de-l-evolution-des-etres-vivants-video.html
Interview du professeur Charles SADRON, biophysicien. Selon lui, l’homme est à la veille, non plus d’observer la vie, mais d’agir sur la matière vivante, de telle manière que le monde vivant peut-être à sa merci. Il pense que l’homme de science a la responsabilité de faire de la vulgarisation pour être compris de tous, même si les connaissances qu’il transmet sont tronquées ou déformées pour les rendre accessibles.
Les directeurs successifs de l’Institut Charles Sadron
Charles Sadron, Professeur, 1947-1967
Henri Benoit, Professeur, 1967-1978
Constant Wippler, Professeur, 1978-1985
Gilbert Weill, Professeur, 1985-1992
Georg Maret, Directeur de recherche CNRS, 1992-1997
Jean-Claude Wittmann, Directeur de recherche CNRS, 1997-2005
Jean-François Legrand, Professeur, 2005-2012
Jean-Michel Guenet, Directeur de recherche CNRS, 2012-2016
Christian Gauthier, Professeur, depuis 2016